La frontière franco-italienne de Vintimille est un lieu plein de contradictions. Depuis la fermeture de la frontière au milieu du mois de Juin 2015, cet endroit a été un des symboles de la violence qui caractérise la politique migratoire de l’Union Européenne. Nous avons vu les assauts de la police sur les trains et les gares qui arrêtaient des personnes en fonction de leur couleur de peau, nous avons été témoins des déportations que les centaines de migrant-es subissent chaque jour, nous avons été détenu-es par la police ici et de l’autre côté de la frontière.
Les migrant-es ont été les premier-es à répondre à la répression, occupant les rochers près de la frontière et installant un camp qui est devenu, durant ces mois, un espace de résistance, de complicité et de lutte. Après cela, le camp Presidio No Border a mis en place de nombreuses initiatives et actions directes pour remettre en cause la fermeture de la frontière, sa logique et ses conséquences.
Après une première tentative d’expulsion échouée, les institutions ont mis en place une stratégie de basse intensité contre cette résistance, en exerçant une pression continue contre le camp. Les attaques des polices italiennes et françaises, ont été mises en place avec le soutien des passeurs et la logistique fournie par la Croix-Rouge Italienne, avec l’aide des journalistes à leur solde et des politiciens, tous unis dans la manipulation de de la prétendue « urgence des réfugié-es ».
L’escalade répressive contre les personnes montrant de la solidarité avec les migrant-es a atteint son sommet dans plusieurs épisodes que nous citons ici. Notre surveillance et nos réactions contre les déportations à travers la frontière de Ponte San Luigi nous ont déjà valu 18 poursuites pour occupation, 1 arrestation et 7 arrêtés d’expulsion, sans prendre en compte les nombreux cas d’intimidation que nous subissions quotidiennement. Ces mesures administratives n’ont pas suffi pour arrêter le processus d’auto-organisation des migrant-es et des personnes solidaires à la frontière.
Après 2 mois, le Presidio Permanente No Border à Vintimille est toujours là et appelle tous les réseaux, individus et collectifs qui se sont récemment mobilisés en solidarité avec les migrant-es pour relancer une convergence internationale contre les frontières, le racisme, l’exploitation et la militarisation des territoires.
Depuis les 3 jours internationaux du 24-25-26 juillet, nous avons commencé un échange à partir des réflexions importantes sur le sens et la direction de notre lute. Si la Forteresse Europe a maintenant abandonné son visage humanitaire qu’elle avait l’habitude de se représenter, et montre maintenant toute la violence de ses aspirations coloniales, la force et la détermination des personnes voyageant les dernières semaines illustrent le besoin de relancer la lutte pour la liberté de circulation pour tous et toutes. Le passage massif que nous avons vu aux frontières de Vintimille et Calais, sur les iles grecques et à la frontière de la Macédoine, ainsi que les milliers de personnes qui, chaque jour (seul-es ou en petits groupes), traversent les frontières partout en Europe, rend évident que la politique européenne est insoutenable et accroit le problème sur le type de contribution possible à donner à ce mouvement.
La multiplication des frontières, la création de dizaines de camps de réfugié-es aux quatre coins de l’Europe, et la criminalisation (ou dans « le meilleur des cas », leur réduction à des choses) des migrant-es que nous constatons, nécessite que l’on continue le travail de construction de réseaux et de partage des pratiques de solidarité directe. Continuer le soutien aux passages de frontières de manière concrète et développer de nouveaux espaces libres fait clairement partie des objectifs futurs que l’on se donne ensemble, mais ceux-ci ne sont pas les seuls.
Notre soutien doit tout d’abord se baser sur une analyse des causes réelles qui créent les mouvements migratoires, sur les conséquences de la fermeture des frontières sur la vie des populations et sur les responsables de ces mécanismes. Des milliers de personnes meurent noyées dans la mer, étouffé-es dans un camion ou écrasé-es par un train en marche, et ceci arrive parce que cela a été décidé. Les politiques d’endettement, l’expropriation des ressources et l’exploitation des peuples dans des régions entières du monde, organisées par les gouvernements et les multinationales sont des choix conscients faits par ceux qui ont le pouvoir. Les prétendues élites mondiales ont du sang sur les mains, et leurs déclarations compatissantes pour les victimes de la traite d’êtres humains sont à vomir. Certains représentants de la classe dirigeante qui, à l’heure actuelle, spéculent sur la fuite d’hommes et de femmes de leur pays d’origine sont les mêmes criminels et meurtriers qui font des affaires sur cette migration, en soutenant même les régimes autoritaires tout en gardant une distance avec eux uniquement de façade. Face à leurs larmes de crocodiles, il est nécessaire de réaffirmer leur responsabilité politique et transformer la douleur causée par tous ces mort-es en colère organisée contre eux.
Durant ces rencontres, nous voudrions développer une argumentation cohérente qui comprend autant les causes responsables des mouvements migratoires, les possibilités qui s’ouvrent à nous sur le terrain en termes de luttes, que les réponses aux besoins et à l’exploitation que subissent les migrant-es dans leurs lieux d’origine et d’arrivée. Il est primordial de réfléchir sur le rôle de la militarisation des territoires, autant en Europe qu’en Afrique qu’au Moyen-Orient, dans les effets dévastateurs sur les vies de celles et ceux de passage et celles et ceux qui y vivent, et sur les dynamiques d’expropriation et d’exploitation qui sont les causes et conséquences d’une stratégie habituelle du système capitaliste.
A partir de ces idées, bien que générales et sans prétention d’être exhaustives, nous proposons trois ateliers qui pourraient servir à lancer une mobilisation large sur le long terme.
Cette nouvelle assemblée internationale à Vintimille devrait être une occasion de construire une riposte politique forte. Pour cela, il est nécessaire que nos réflexions soient suivies de mobilisations à la hauteur des défis que nous affrontons.
Dans ce contexte, il semble nécessaire de relancer les propositions de mobilisations qui ont émergé jusqu’ici (en espérant que de nouvelles propositions arriveront bientôt).
6 septembre : liberté sans frontières ! Arrêtons les frontières, arrêtons les prisons ! Journée d’initiatives et d’actions contre la répression, pour la construction d’espaces de luttes alternatifs et solidaires.
15 septembre : jour de mobilisation pour Kobane. Il serait intéressant de faire le lien avec la semaine de mobilisation pour l’ouverture d’un couloir humanitaire, en fournissant les bases de rencontres solidaires.
3 Octobre : deux ans après le naufrage dans le Détroit de Messine (Sicile) où 400 personnes sont mortes, il est important selon nous de reprendre la proposition de Lampedusa sur la diffusion massive d’un document d’investigation sur cet évènement et la construction d’un débat sur les mesures sécuritaires et militaires qui en ont découlées. Le plus important n’est pas de faire une nouvelle commémoration vide de sens et un jour de deuil qui ne produirait rien de plus qu’une indignation opportuniste, c’est plutôt de se mettre en lien et de créer des espaces de rencontres et de réflexions, de développer des pratiques permettant de saboter les politiques migratoires européennes de Lampedusa à Calais.
17-24 Octobre : participer et amplifier les propositions de mobilisations lancées par les comités de sans-papiers, en faire un point de départ pour un processus de luttes internationalement coordonnées contre les frontières, le racisme, l’exploitation et la militarisation des territoires.
De Lampedusa à Calais, nous ne revenons pas en arrière !
Presidio Permanente No Borders Ventimiglia